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Charles de Gaulle: éloge de la Participation.


Le général de Gaulle

"Voilà une société, je parle de la société française, voilà une société dans laquelle la machine est la maîtresse absolue et la pousse à un rythme accéléré dans des transformations inouïes. Une société dans laquelle tout ce qui est d'ordre matériel, les conditions du travail, l'existence ménagère, les déplacements, l'information, etc. tout cela qui n'avait pas bougé depuis l'Antiquité change maintenant de plus en plus rapidement et de plus en plus complètement. Une société qui, il y a cinquante ans, était agricole et villageoise et qui, à toute vitesse, devient industrielle et urbaine; une société qui a perdu en grande partie les fondements et les encadrements sociaux, moraux, religieux, qui lui étaient traditionnels; une société qui, en l'espace d'une génération, a subi deux guerres épouvantables et qui vit, maintenant, dans une Europe coupée en deux et au milieu d'un monde qui est bouleversé par la fin des empires, par l'avènement d'une foule d'Etats nouveaux dont les peuples frappent à la porte de la prospérité et d'un monde qui est agité dans ses profondeurs - le drame d'hier en Amérique en est un exemple - par les conflits absurdes et dangereux en Asie, en Afrique, en Amerique; une société qui, actuellement, dispose d'une information dont les moyens sont colossaux, qui agissent à chaque minute et qui s'emploient essentiellement, vous le savez bien, contre toute autorité, à commencer s'il vous plaît par la mienne, et qui tapent sans relâche et presque exclusivement sur le sentationnel, le dramatique, le douloureux, le scandaleux; une société enfin, qui sait qu'au-dessus de sa tête est suspendue en permanence, l'hypothèque nucléaire de l'anéantissement. Comment estc-ce qu'on pourrait imaginer que cette société-là soit placide et soit, au fond, satisfaite ?

Elle ne l'est certainement pas.

Il est vrai que, en échange, si on peut dire, de tous ces soucis, de toutes ces secousses qu'elle nous apporte, la civilisation mécanique moderne répand parmi nous des biens matériels en quantité et en qualité croissantes et qui, certainement, élèvent le niveau de vie de tous. Il n'est pas douteux, qu'en moyenne, un Français d'aujourd'hui mange, se vêt, se chaffe, se loge, se soigne mieux que son aïeul, que son travail est moin pénible, qu'il a, à sa portée, des moyens de déplacement et d'information tout à fait nouveaux. En même temps, il est vrai que la technique et la science qui se développent parallèlement à l'industrie et aussi vite qu'elle, obtiennent, en s'unissant à elle, des résultats saisissant. La locomotive, le téléphone, l'électricité, ça avait été bien ! L'auto, l'avion, la radio, c'était mieux ! La fusée, la télé, le moteur atomique, le laser, la greffe du coeur, c'est magnifique ! Bref, la civilisation mécanique qui nous apporte encore une fois beaucoup de malheurs nous apporte aussi une prospérité croissante et des perspectives mirifiques.

Seulement voilà, elle est mécanique, ce qui veut dire qu'elle enlace l'homme, quel qu'il soit et quoi qu'il fasse, qu'elle l'enlace dans une espèce d'engrenage qui est écrasant. Cela ce produit d'ailleurs pour le travail; Cela se produit pour la vie de tous les jours; cela se produit pour la circulation; cela se produit pour l'information, pour la publicité, etc. Si bien que tout s'organise et fonctionne d'une manière automatique, standardisée, d'une manière technocratique, et de telle sorte que l'individu, par exemple, l'ouvrier, n'a pas prise sur son propre destin, comme pour les fourmis la fourmilière et pour les termites la termintière. Naturellement, ce sont les régimes communistes qui en viennent là surtout et qui encagent tout et chacun dans un totalitarisme lugubre. Mais le capitalisme lui aussi, d'une autre façon, sous d'autres formes, emploigne et asservit les gens. Comment trouver un équilibre humain pour la civilisation, pour la société mécanique moderne ? Voilà la grande question de ce siécle !

M. Michel Droit

Mon Général, cette société que vous venez de définir, tout le monde veut la changer. En tant que chef de l'Etat, vous avez la responsabilité de le faire et vous en avez les moyens. Est-ce que vous pourriez expliquer, évidemment très brièvement car c'est un immense sujet, comment vous entendez promouvoir, en France, ce changement de la société et l'expliquer de façon très concrète, de façon à ce qu'on n'ait pas besoin de se livrer à une exégèse de vos paroles, comme vous le savez cela arrive quelquefois.

Le général de Gaulle

Pour la mutation dont vous me parlez, il y a, naturellement, des réponses diverses et opposées. Moi, j'en vois trois essentielles.

D'abord, il y a le communisme qui dit: créons d'office le plus possible de biens matériels et répartissons-les d'office de telle sorte que personne n'en dispose à moins qu'on ne l'y autorise. Comment ? Par la contrainte. La contrainte morale et matérielle constante, autrement dit, par une dictature qui est implacable et perpétuelle, même si, à l'intérieur d'elle-même, des clans différents s'en saisissent tour à tour en se vouant aux gémonies; même si, depuis que se système est en vigueur en certains endroits, ses chefs, à mesure qu'ils se succèdent, se condamnent les uns aux autres, comme s'il était prouvé d'avance que chacun devrait échouer à moins qu'il ne trahisse. Non, du point de vue de l'homme, la solution communiste est mauvaise.

Le capitalisme dit: grâce au profit qui suscite l'initiative, fabriquons de plus en plus de richesses qui, en se répartissant par le libre marché, élèvent en somme le niveau du corps social tout entier. Seulement voilà: la propriété, la direction, le bénéfice des entreprises dans le système capitaliste n'appartiennent qu'au capital. Alors, ceux qui ne le possèdent pas se trouvent dans une sorte d'état d'aliénation à l'intérieur même de l'activité à laquelle ils contribuent. Non, le capitalisme du point de vu de l'homme n'offre pas de solution satisfaisante.

Il y a une troisième solution: c'est la participation, qui, elle, change la condition de l'homme au milieu de la civilisation moderne. Dès lors que des gens se mettent ensemble pour une oeuvre économique commune, par exemple, pour faire marcher une industrie, en apportant soit les capitaux nécessaires, soit la capacité de direction, de gestion et de technique, soit le travail, il s'agit que tous forment ensemble une société, une société où tous aient intérêt à son rendement et à son bon fonctionnement et un intérêt direct. Cela implique que soit attribuée de par la loi, à chacun, une part de ce que l'affaire gagne et de ce qu'elle investit en elle-mêmle grâce à ses gains. Cela implique aussi que tous soient informés d'une manière suffisante de la marche de l'entreprise et puissent, par des représentants qu'ils auront tous nommés librement, participer à la société et à ses conseils pour y faire valoir leurs intérêts, leurs points de vue et leurs propositions. C'est la voie que j'ai toujours cru bonne. C'est la voie dans laquelle j'ai fait déjà quelques pas; par exemple en 1945, quand, avec mon gouvernement, j'ai institué les comités d'entreprises, quand, en 1959 et en 1967, j'ai, par des ordonnances, ouvert la brêche à l'intéressement. C'est la voie dans laquelle il faut marcher."

Entretien radiodiffusié et télévisé avec M. Michel Droit, le 7.6.1968


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